Baroque et littérature (1)
En architecture ou en peinture, le baroque vous est familier! Vous savez que ce style est né avec la Contre-réforme, histoire de concurrencer en la dévalorisant, l’austérité des protestants, même si ces derniers ont parfois fini par s’en inspirer également… Vous avez visité les palais du Bernin ou… les églises (plus modestes !) de la Tarentaise. Vous avez adoré ou abhorré ces formes contournées, ces angelots joufflus et fessus, les putti, et cette dorure omniprésente qui métamorphosent parfois le lieu de culte en lieu de… spectacle.
En musique aussi, vous connaissez ! Les « baroqueux » sont à la mode depuis longtemps déjà ! Mais créateurs, pratiquants et exégètes sont parfois bien en peine de se mettre d’accord sur des définitions techniques précises. Musique « savante et sophistiquée » nous dit Wikipedia. Ses caractéristiques : l’importance grandissante des instruments par rapport au chant, le contrepoint (!), l’ornementation. Si on a donc parfois du mal à cerner les limites artistiques de l’ « appellation contrôlée », d’après les spécialistes, elle s’inscrirait dans une période qui couvre - grosso-modo - le XVIIème et la moitié du XVIIIème siècle, de Monteverdi à Bach et consorts. Mieux vaut donc s’en tenir à une chronologie : 1600-1750 ! Ça, c’est du solide !
Et la littérature dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien en littérature, c’est une découverte récente : disons qu’elle date de l’après-guerre (la dernière). Vous êtes donc excusé d’avance si vous n’en aviez pas été informé, vous n’êtes pas le seul ! Il n’y a guère que les spécialistes qui avaient été prévenus ! Alors, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, je vous ai préparé une petite compil de mise à jour. Comment ça, vous ne lisez pas de poésie ? Eh bien essayez celle-là ! Comment ça, la langue a vieilli ? Eh bien tentez quand même et vous serez… surpris, émerveillé, bluffé par la modernité de la pensée et d’une écriture pas encore entravée par le corset du classicisme à venir ! Préromantisme ? C’est vous qui l’aurez dit… C’est vrai que le « Je » s’y développe dans toute sa splendeur… Quant aux vers surréalistes de De Viau, ne semblent-ils pas directement inspirés d’un tableau de Jérôme Bosch ?
Le rapport avec les autres baroques, architectural ou musical ? Voila une excellente question ! Hum… Eh bien c’est une perle irrégulière (barroco en portugais), qui est censée avoir fourni la dénomination. Le baroque littéraire aurait hérité de cette classification pour avoir décrit «… le changement, l’inconstance, le trompe-l’œil, la parure, le spectacle funèbre, la vie fugitive, et le monde en instabilité » comme le dit Jean Rousset, un des papes de la chose… Pourtant, à part la virtuosité langagière, on discerne mal le lien qui peut relier ce baroque-là aux autres… Le message apparaît parfois si sombre et la langue si dénuée des conventionnelles métaphores…
Ceci dit, au fond, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Allez donc savourer les quelques poèmes sélectionnés à votre intention. Leurs auteurs sont passablement oubliés (à part d’Aubigné), mais ils méritent le détour sinon le voyage- Tout s’enfle contre moi (Jean de Sponde)
Une vision tragique d’un monde écartelé entre Dieu et Satan.
- Et la mer et l’amour (Pierre de Marbeuf)
Et ses quatrains à l’exceptionnelle musicalité où s’entrelacent à l’infini, et la mer et l’amour.
- Je me trouve et je me pers (Etienne Jodelle)
L’homme est cette « impossible chimère » (Pascal), porteuse du meilleur comme du pire. Il exprime les tensions insoutenables et pourtant intrinsèques à la nature de l’homme.[1]
- Ode (Théophile de Viau)
Cela rappelle le savant désordre des tableaux de Jérôme Bosch, dont Roger Caillois disait : « Cet univers apparaît si bien inversé, disloqué, brouillé comme puzzle après brassage des pièces, que l’insolite n’y a plus de place car il est partout. [2]
- Les Tragiques (Théodore Agrippa d’Aubigné)
L’auteur joue l’ambiguïté entre le Reiter (chevalier en allemand) et le Reistre (assimilé à un mercenaire). Le Reistre noir symbolise ici le troisième cavalier de l’Apocalypse de Jean, celui qui monte le Cheval noir…[3]