Les légendes du roi Arthur (1)

Publié le par Au fil des pages

Les légendes du roi Arthur


Pourquoi parler du roi Arthur ?

 

Au départ, pour m’éclaircir un peu les idées, après avoir revu, en juillet 2008, à l’institut Lumière,  Excalibur, le film de Boorman sorti en 1981 ! Ultérieurement, dans le cadre de notre étude du Chevalier au Lion (sous la savante direction de Chantal Verchère, notre enseignante en littérature et en langue médiévale), pour mieux comprendre l’enchaînement des textes et notamment de ceux de Chrétien de Troyes.

Mes questions (vous pouvez y ajouter les vôtres, je tâcherai d’y répondre !) :

-         Arthur est-il un personnage historique ?

-         Quelle est (en gros !) la chronologie des textes ?

-         Quel lien y a-t-il entre :

·        les deux « matières de Bretagne » : l’insulaire et la continentale ?

·        Arthur, résident épisodique de  Camelot  et le Merlin de Brocéliande ?

·        la quête du Graal, mythe païen christianisé, et Arthur et ses compagnons tout droit sortis des légendes celtiques ?

-         Qui sont les principaux chevaliers ? Quel est leur rôle ?

-         Qui est le Roi-Pêcheur ?

-         Qui sont Morgane et Viviane ?


Le contexte historico-politique[1]

Il existe sans doute un Arthur historique, qui serait né vers 475 en Cornouailles. Chef de bande dès 20 ans, puis dux bellorum, à Camlann,  il affronte Mordret, le ravisseur de sa femme. Les deux rivaux s’entre-tuent. Arthur disparaît ainsi en pleine gloire.

La légende est donc largement antérieure à sa rédaction anglaise par Geoffroy de Monmouth. Cette dernière serait en fait une opération politique symbolique destinée à justifier la reconstitution de l’empire d’un nouveau roi Arthur, en dotant les Plantagenêt d’une « origine » mythique prestigieuse (cf. Jean de Salisbury[2]). Par un bienheureux hasard, on « découvrira »  les tombeaux d’Arthur et de Guenièvre en 1190 à l’abbaye de Glastonbury… 

En effet, Henry II et Aliénor avaient eu quatre fils : Henri, Richard dit « Cœur de Lion », Jean « sans Terre », et Geoffroy, marié à Constance, dont le fils Arthur né en 1187, devait porter les deux couronnes, de la Bretagne insulaire et de l’armoricaine. Guenièvre aurait d’ailleurs servi de modèle à Aliénor.

 

Les textes littéraires principaux

·         Geoffroy de Monmouth (gallois) consigne l’Historia Regum Britanniae (1132) et la Vita Merlini (1150).

·         Robert Wace (anglo-normand) adapte l’ouvrage en français: Roman de Brut (1155) 

·         Caradoc de Llancarvan (gallois) rédige sa Vita Gildae (tout début du XIIème siècle) Arthur y assiège Glastonbury pour délivrer son épouse, la reine Guenièvre.

·         Chrétien de Troyes publie ses romans arthuriens (une dizaine de milliers de vers !) :

-          Érec et Énide (c.1170)

-          Cligès ou la fausse morte (c.1176)

-          Lancelot ou le chevalier à [de] la charrette (c.1175-1181)

-          Yvain ou le chevalier au Lion (c.1175-1181)

-          Perceval ou le conte du Graal (c.1182-1190), resté inachevé du fait de la mort supposée de l’auteur.

« …rien [dans ce roman], ne laissait entrevoir la récupération de l’objet mystérieux, [le graal] et sa transformation en vase ayant contenu le sang du Christ. » « … l’une des plus grandes escroqueries du Moyen Age... »[3].

« Désormais la voie est libre aux écrivains qui vont broder sur le thème de la chevalerie          arthurienne,  pourtant si étrangère au domaine celtique [4]».  

·          Différents auteurs donnent  naissance à la grande compilation (60 000 vers[5]). au début du XIIIème siècle. Le Lancelot en prose, ou Lancelot-Graal comporte cinq romans :

-           L’histoire du Saint Graal : Joseph d’Arimathie l’aurait apporté au château de Corbénic (celui du fameux Roi-Pêcheur) dans l’île de Bretagne.

-           Histoire de Merlin.  Fils d’une nonne et du diable, Merlin prophétisait auprès du roi Vortigern, puis auprès d’Uther Pendragon dont il devient le conseiller. Uther s’introduit dans le lit d’Ygerne (ou Ygraine), sous les traits de son mari, Hoët de Tintagel, qu’il tue ensuite.

Arthur, l’enfant né de cette nuit, est confié à Merlin qui l’élèvera avec Keu. Arthur retire Excalibur[6] de la pierre.  Il est sacré roi et tient sa cour à Kaerllion[7]. Puis il vient en aide à ses vassaux du continent qui luttent contre une coalition de Gaulois, de Romains, et d’Allemands. Il tombe amoureux de Guenièvre et retourne dans l’île de Bretagne, où il vainc ses ennemis et épouse Guenièvre. Merlin jette le roi Ban dans les bras de la belle Elaine. Conception de Lancelot. Merlin regagne Brocéliande, car il est tombé amoureux de Viviane. Puis il revient à la cour d’Arthur, à Londres, pour y annoncer la décision de Dieu : un compagnonnage, symbolisé par une table ronde[8] s’établira autour d’Arthur. Morgane sœur d’Arthur, est jalousée par Guenièvre. Arthur tient sa cour à Camelot[9].

Merlin disparaît.

-          Le livre de Lancelot. L. a été élevé par Viviane, la Dame du Lac. Il tombe amoureux de la reine Guenièvre, et, après de nombreuses aventures, revient à la cour d’Arthur.

-          La Queste del Saint-Graal (vers 1220). Fils de Lancelot et d’Élaine de Corbenic – la fille du Roi-Pêcheur – Galahad a réussi l’épreuve, après que son père ait renoncé, et que Gauvain ait échoué. Les chevaliers partent à la recherche du Saint Graal[10]. Galahad, Perceval et Bohort guérissent le Roi-Pécheur[11]. Seul Galahad est admis à contempler le Graal[12]. Il en meurt. Perceval se fait ermite et meurt quelque temps après. Bohort revient à la cour d’Arthur qui ordonne de consigner  les mémoires du chevalier.

-          La mort le roi Artu. Les rescapés sont revenus à la cour du roi Arthur. Vingt-deux chevaliers manquent à l’appel. Amours  de Lancelot et de la reine. Les amants sont surpris. Lancelot fuit. Sur l’ordre du pape, la reine reviendra à son mari et Lancelot devra retourner en Bretagne. Duel entre Gauvain et Lancelot. Le trône d’Arthur est menacé. Arthur tue Mordret et ordonne qu’Excalibur soit jetée au lac. Une main surgit des eaux et emporte l’épée. Morgane et ses suivantes emmènent Arthur vers l’ile d’Avalon, l’île aux pommes. Guenièvre se retire dans une abbaye. Lancelot meurt peu après. Bohort reste le dernier chevalier de la Table Ronde[13].

Et personne ne sut ce qu’était devenu Arthur. Les uns disent qu’il fut emmené dans l’île d’Avallach par Modron, et qu’il attend là-bas le moment de reprendre le commandement de toutes les troupes de Bretagne. D’autres disent qu’il se trouve dans une grotte, quelque part dans une montagne et qu’il y dort, attendant d’être réveillé par celui qui lui annoncera que les temps sont enfin revenus. Mais les incrédules disent qu’il est bien mort, et qu’ils ont vu son tombeau dans l’abbaye de Glastonbury[14].

·         Le « pseudo-Robert de Boron [15]» publie son cycle : Le roman du Graal (Joseph d’Arimathie, Merlin et Perceval) au début du XIIIème siècle . Seul en subsiste le Merlin (ou le livre du Graal), écrit, lui, par de Boron, au moins pour la première partie. « Œuvre  cistercienne », d’après P. Zumthor,  elle ne cherche plus à faire de la chevalerie l’instrument suprême de l’accomplissement, mais conseille au contraire d’y renoncer. « Remontant l’histoire, R. de Boron origine le Graal au temps de la Passion, fonde sa présence dans cette Angleterre encore païenne… [16]» Merlin aura pour rôle de « … préparer la Bretagne à l’avènement du chevalier digne d’occuper la place vide à la table du Graal, celle de Joseph d’Arimathie, et surtout à la troisième table, la Table ronde ».

·         Deux des Mabinogion, les fameuses compilations galloises de légendes celtiques (manuscrits de la deuxième moitié du XIVème siècle) se réfèrent aux légendes arthuriennes, notamment Kulhwch et Olwen, texte antérieur à celui de Geoffroy de Monmouth, très proche du Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes.

·         Thomas Malory va clore trois siècles et demi d’écrits canoniques avec Le morte d’Arthur(1485), compilation en un seul volume de la masse des légendes arthuriennes. Boorman s’en inspirera pour son film : Excalibur.

 

 

 

 

roi-Arthur.jpg

 

 

  

 

Non, Décidément, Arthur n’est pas mort…


 

Quelques « produits dérivés » en vrac !

 

·         Un texte comique et grivois attribué à Rabelais en 1532 : Merlin, Gargantua et Arthur.

·         Un roman de chevalerie d’origine espagnole, au XVIème siècle, à la mode arthurienne (parmi bien d’autres) : Amadis de Gaule.

·         Des  avatars :

-          Un opéra : le Parsifal (Perceval) de Wagner[17] (1882)

-          Un roman parodique : Un Américain à la cour du roi Arthur de Mark Twain (1889)

-          Un poème : The Waste Land[18] de T.S Eliot (1922)

-          Une pièce : le Roi-Pêcheur de Julien Gracq (1948)

-          Un dessin animé: Merlin l’enchanteur (The Sword in the stone) de Walt Disney (1963).

-          Un film : Excalibur de John Boorman (1981)

-          Et une chanson « folk »  pour finir en douceur : le « Sweet Sir Galahad[19] » de Joan Baez : écoutez le sur

. Pas vraiment de rapport avec la Table ronde, mais bien agréable…

 


 

Mes sources

-          Op.1 : Jean Markale, Le roi Arthur et la société celtique,  Payot, Le regard de l’histoire, Paris 1976.

-          Op.2 : Thomas Malory, ill. Aubrey Beardsley, Le Morte d’Arthur, traduit par Marguerite-Marie Dubois,  Editions Corentin, Poitiers 1993.

-          Op.3 : La roue des fortunes royales ou la gloire d’Artus, textes rassemblés par  Albert Pauphilet, H.Piazza, L’édition d’art, Paris 1925.

-          Op.4 : La Quête du Graal, édition présentée et établie par Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Éditions du Seuil, Paris 1975.

-          Op.5 : Livre des enfances et des amours de Lancelot du Lac, rédigées par Jacques Boulenger, Plon, Paris 1957.

-          Op.6 : Le roman du roi Arthur, Tome 2 : Lancelot, « renouvelé » ( !) par Xavier de Langlais Éditions d’art H.Piazza, Paris 1967.

-          Op.7 : Chrétien de Troyes, Le chevalier de la charrette (Lancelot), traduit par Jean Frappier, Librairie Honoré Champion, éditeur, Paris 1977.

-          Op.8 : Chrétien de Troyes, Le chevalier au Lion (Yvain), édité par Mario Roques, Honoré Champion éditeur, Paris 1999.

-          Op.9 : Chrétien de Troyes, Le chevalier au Lion (Yvain), traduit par Claude Buridan et Jean Trotin, Honoré Champion éditeur, Paris 1999.

-          Op.10 : Chrétien de Troyes, Perceval le Gallois ou le conte du Graal, traduit par Lucien Foulet, préface de Mario Roques, Éditions Stock, Collection Stock Plus, Paris 1978.

-          Op.11 : Merlin le Prophète, ou le livre du Graal, traduit par Emmanuelle Baumgartner, préface de Paul  Zumthor, Éditions Stock, Collection Stock Plus, Paris 1980.

-          Op.12 : Les Mabinogion, Tome 1, traduit par J.Loth, Ernest Thorin éditeur, Paris 1889

-  Annexe : Tableau des principaux chevaliers de la Table ronde (extrait de Wikipedia).


[1] Informations recueillies dans J. Markale. Op. 1, sauf indications contraires.

[2] Op.1, p.107 et sq.

[3] Op.1, p.55 à 60.

[4] Op.1, p.62.

[5] D’après Markale, guère plus, au fond, que les trois volumes de « Vingt ans après » de Dumas…

[6] En hébreu : « Tranche fer et acier ». Op.1, p.65.

[7] Ou Caerleon. Souvent identifiée avec Camelot, ce serait la petite cité de Newport, dans le Sud du pays de Galles. Source : Columbia Encyclopédia.

[8] La « Table ronde » est la « troisième table », venant après la première, celle de la Cène, et la deuxième, celle de la liturgie.

.Béguin. Op.4, p.29

[9]  À proximité de la plaine de Salisbury, de l’Abbaye de Glastonbury, et du Sud du Pays de Galles.

[10] «… Messire Gauvain, quand il eut quitté ses compagnons, chevaucha longtemps sans trouver aucune aventure qu’il vaille la peine de rappeler. Et il en allait de même des autres compagnons qui rencontraient dix fois moins d’aventure que d’habitude ; aussi la Quête les ennuyait-elle. » [!!!] Les aventures de Gauvain. Op. 4, p.185.

[11] Bohort, rude et robuste, chaste sans être vierge, ne peut s’élever à la perfection que par une longue lutte. Perceval, plus favorisé, transformé par la grâce, est plus avancé, il vit au seuil de la contemplation. Le troisième, prédestiné, Galahad, fils de Lancelot, est seul parfait. Il ira jusqu’à la révélation des mystères de Dieu. Il est attendu depuis des siècles, apparaît dans le palais royal à la Pentecôte, et il est à « l’Imitation » (À. Béguin. Op.4, p.36) de Jésus-Christ.

[12]  « Personne ne verra le Graal sans qu’il lui agrée… » cité par E.Baumgartner. Op.11, p. 328.

[13] « Les autres sont morts dans la plaine de Salisbury où les énormes pierres transportées jadis par la magie de Merlin, la « carole des géants », commémorent tout autant la sanglante victoire d’Uther sur les Saxons, que la ruine désastreuse des espérances bretonnes. » Op.11, p.324.

[14] « Car Arthur n’est pas mort, et il reviendra. Rappelons que la même légende court, à peu près à la même  époque, à propos de Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne lequel dort quelque part dans les montagnes de la Forêt-Noire, et reviendra pour la plus grande gloire du peuple germanique. » .Op.1, p.105.

[15]  P. Zumthor. Op.11, p111

[16]  Op.4, p.37

[17] D’après l’adaptation allemande de Wolfram von Eschenbach,  rédigée début XIIIème siècle. Elle est beaucoup plus ésotérique que  les ouvrages de C. de T., plus dramatique, plus obscure aussi. « C’est le monde des dieux germaniques et des fées qu’il s’agit d’évangéliser » Op.4, p.41.

[18] La terre stérile du Roi-Pêcheur

[19]  « Mon doux sire… »

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article